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Comment la démarche scientifique démontre que la valeur des instruments de musique n'est pas jugée sur leur capacité à émettre des sons de qualité.
Par Ambroise Sulies
Du Laboratoire Philharmonique de Paris.
Je me souviens, il y a fort longtemps, dans le couloir d'une université provinciale, d'une discussion avec un grand amateur de musique. Il me maintenait avec passion que le son d'un stradivarius ne serait jamais approché par un autre instrument. Plus généralement, à ses yeux, les instruments numériques de l'époque (les synthétiseurs et autres orgues électroniques étaient alors à la mode et les foules se déplaçaient pour assister aux spectacles de Jean-Michel Jarre) ne parviendraient jamais à reproduire parfaitement les sons des instruments véritables, dont cette personne appréciait jusqu'aux subtils effets qu'engendraient les fissures des caisses de résonance et autres défauts dus à leur usure.
Cet argument me semblait totalement idiot. Les synthétiseurs d'alors avaient certes leur sonorité artificielle à part[voir note 1], mais je ne voyais pas comment on pouvait affirmer qu'un son ne pourrait jamais être analysé et reproduit artificiellement à la perfection pour un enregistrement. Cette personne confiait manifestement une nature magique à l'instrument de son cœur, et aucun argument scientifique n'aurait pu le convaincre autrement. Je n'aurai pas eu plus de mal à convaincre le membre d'une secte que son gourou était un arnaqueur. Quand la foi est en jeu, les arguments scientifiques sont impuissants.
Plus récemment, le CNRS mena cependant une expérience fort significative (voir référence 1). Dans des conditions précises de mesure, des violonistes virtuoses testèrent des violons purement sur leurs qualités musicales (tests "en aveugle", sans voir l'instrument). Et les instruments réalisés par le fameux antonio Stradivari arrivèrent derrière les instruments modernes. Voilà, les musiciens sont donc snobs, et choisissent un stradivarius comme instrument de prédilection pour des raisons qui n'ont rien à voir avec la musique! Ils le choisissent pour son prix exorbitant (on compte en million d'euros, voir référence 2) qui lui attribue automatiquement de la valeur; ou bien pour le rôle qu'ils ont joué dans l'histoire. Pour le premier argument, c'est la même chose qui fait plus apprécier à certain une Ferrari qu'une Renault Clio. Pour le deuxième argument : c'est ce qui fait choisir à certain une 2 chevaux plutôt qu'une Ferrari (même si certains ont du mal à choisir, voir référence 3). Dans les deux cas, un choix est effectué pour des raisons peu valables, et que nous qualifieront de "snob". En tout cas pas, certainement pas sur la base d'un argument musical (encore que le ronronnement d'une Ferrari ait une douce sonorité aux oreilles de certains mélomanes qu'on peut rencontrer dans les ateliers de mécanique).
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REFERENCES:
[1] - http://www.lemonde.fr/culture/article/2014/04/10/le-stradivarius-detrone-par-les-violons-modernes_4398681_3246.html
[2] - http://fr.wikipedia.org/wiki/Instruments_de_Stradivarius
[3] - http://2cv-legende.com/2cv-series-speciales/2cv-ferrari
NOTES:
[1] C'est vrai que les synthétiseurs avaient un son vraiment mauvais que l'on moquait déjà à cette époque, mais bon, tant pis.
Les articles dans cette série:
- http://sulies.blogspot.fr/2015/01/de-la-musique-pre-face-b.html
- http://sulies.blogspot.fr/2015/02/les-musiciens-sont-snobs.html
- http://sulies.blogspot.fr/2015/03/de-la-musique-opera-ou-football-cest-la.html
- http://sulies.blogspot.fr/2015/04/de-la-musique-une-note-politique.html
- http://sulies.blogspot.fr/2015/05/de-la-musique-quand-les-musiciens.html
dimanche 1 février 2015
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