vendredi 22 mars 2019

Compte Rendu de la finale départementale du concours “Mon Doctorat en 200 secondes”

Ambroise Sulies (PhD), responsable culture scientifique de l’équipe ExcèsLentTeam du Laboratoire d’Analyse, de l’université Aast-Sorbonne Univ. (ASU).

En tant que responsable de la culture scientifique au Laboratoire d’Analyse de Aast-Sorbonne Université (ASU), je me sentais obligé d’assister à la finale départementale du concours « MD200 », dont le gagnant serait automatiquement qualifié pour la finale régionale, dont le gagnant serait automatiquement qualifié pour la finale nationale, dont le gagnant serait automatiquement qualifié pour la finale européenne, dont le gagnant serait automatiquement qualifié pour la finale mondiale.

Avant de vous délivrer le compte-rendu de cet évènement, je dois préciser quelques informations concernant ma nouvelle affiliation, notre université étant dorénavant officiellement dénommée « Aast-Sorbonne Univ.». En effet, suite à de longues réflexions, notre cellule de valorisation (le plus gros département de l’université) a suggéré cette modification, rendue possible par l’ouverture d’une antenne dans la commune d’Aast (173 habitants). Ce changement est d’une haute importance stratégique, puisqu’il permet de grignoter quelques places au classement de Shanghai (et indirectement celui de Toulouse). En effet, en dernier lieu, les établissements sont départagés par l’ordre alphabétique[voir note 1].

Toujours pour des raisons stratégiques, les dirigeants d’ASU, ayant constaté la visibilité du concours « Ma Thèse en 180 secondes » mais l’absence de lauréats de l’établissement, ont récemment décidé de souscrire à un concours totalement plagié sur celui-ci, MD200, « Mon Doctorat en 200 secondes », mais dont le niveau moins exigeant pourrait permettre à nos candidats d’être potentiellement titrés, et ainsi ajouter quelques prix sur nos CV, pages wikipedia, et pages web d’ASU [1].

La cérémonie commença par un discours d’ouverture donné par le président du collège doctoral. Il nous rappela que le but de la compétition était de récompenser les doctorants sachant nous présenter les sujets ardus de leurs recherche avec éloquence et concision. Ce qu’il fit sans l’une ni l’autre[1].

Les finalistes défilèrent ensuite chacun à leur tour, nous exposant en moins de 200 secondes des études sur les mystères du cosmos, de la vie, sur les challenges d’aujourd’hui dans le domaine de la santé et de l’environnement, et bien d’autres sujets passionnants, avec force, talent, originalité, et humour. Qui usant de la fable, qui parodiant l’indice sonore d’une grande compagnie de transport et enchaînant avec un « sketch » digne de Chevallier et Laspalès. Qui en chantonnant sur l’air d’une ritournelle éternelle de la chanson française. Certains encore mimèrent leurs travaux ou leurs sujets, les rendant vivants pour un auditoire conquis à leur cause. Chacun se distinguait à sa façon, et à l’applaudimètre, quelques-uns me semblaient se distinguer, pour leurs présentations particulièrement originales, alors que les plus classiques provoquaient un tout petit peu moins d’enthousiasme.

Le jury était composé de personnalités sélectionnées par le comité d’organisation de l’évènement qui, souhaitant bien se faire voir de leurs tutelles, avaient choisi les dirigeants des dites tutelles[1] : président, vice-président, responsables des services de l’université et de la direction régionale du CNRS. Cette sélection introduisit peut-être un biais dans le jugement du jury puisqu’il était composé principalement d’anciens sages s’étant déconnectés de la recherche depuis bien des années pour se consacrer aux tâches administratives et glorieuses qui sont récompensées dans notre nation par salaire, prime, pouvoir, et fréquence des petits-fours (le tout pleinement justifié par le mérite de ces personnes, en tout cas selon leurs propres critères).

L’annonce des résultats me laissa perplexe, tout comme plusieurs personnes autour de moi. En effet, le choix des vieillards du jury excluait les candidats et candidates ayant montré le plus d’originalité (une qualité pourtant indispensable dans la recherche, ce que les anciens peuvent naturellement avoir oublié considérant leurs activités actuelles), et encore plus tous ceux qui avaient employé l’humour comme vecteur. Il est bien connu que les personnes maniant l’humour ne sont ni matures ni sérieuses, et Richard Feynmann n’aurait certainement pas eu sa place à ASU. Les 3 prix du jury portèrent sur trois jeunes filles sorties du même moule. Elles étaient habillées de manière plutôt classique et étaient dépourvues de kilogrammes surnuméraires. Leurs présentations se voulaient sérieuses. Puisque nous sommes entre nous, je vous avouerais qu’elles me semblèrent plus ennuyeuse et bêtifiantes que les autres[voir note 2]. À la réflexion, la gagnante du premier prix, dans son tailleur Chanel, sur ses talons Louboutin, avec ses cheveux mi-longs attachés en arrière, semblait un jeune clone de la présidente du jury qui a pu retrouver sa jeunesse par procuration en s’identifiant à cette personne. Quant aux messieurs du jury, qui sait si ces jeunes personnes de leur rappelaient pas leur petite-fille ou leur dernière étudiante. Par une coïncidence bien étonnante, les prix distribués couvraient largement la discipline du président de l’université.

Les prix furent annoncés l’un après l’autre dans une cérémonie interminable pendant laquelle on fit venir sur scène les différents partenaires du concours pour remettre les cadeaux qu’ils offraient aux gagnants. Une chargée de com typique (grande blonde mieux habillée que le chercheur et la chercheuse moyenne) distribua le dernier exemplaire de la revue de son institut. Des représentants de mutuelles, assurances, banques, paradèrent ensuite pour remettre de petits chèques à trois chiffres. L’université se ridiculisa en offrant à tous les participants une pauvre besace à son insigne. Le premier prix eut un énorme chèque (par la taille) en carton. Les mille euros inscrits sur celui-ci étaient moins grandiose. Le président d’ASU vint se gargariser en offrant aux premiers prix un exemplaire du bel ouvrage de photographies prises sur « son » campus, un livre qui s’identifiait en réalité à un fascicule de com[1]. Pour le réaliser il avait fallu payer cher un photographe talentueux sachant trouver les angles rendant gracieux les sites universitaires, en masquant les tags, les câbles électriques tombant des plafonds, les bureaux couverts de graffiti, les chaises branlantes, les toilettes hors usage, etc. En songeant aux millions d’euros qu’ASU distribue au travers de dispositifs d’excellence sur la base de dossiers peu travaillés, certaines mauvaises langues pourraient se dire qu’en comparaison, les prix dérisoires offerts aux meilleurs doctorants de l’université en disaient long sur la considération des étudiants par les personnes en charge d’ASU[1].

La soirée prit fin alors que toutes les personnalités jouaient des coudes pour être présentes sur les quelques photographies qui pourraient sortir dans le journal local le lendemain, avant de se déplacer vers un cocktail donné à l’occasion, pendant lequel tout un chacun se livra aux exercices de networking et lobbying habituels, ne délivrant que peu d’attention aux véritables héros du jour : les doctorants.

NOTES
1) Vous pourrez aisément vérifier qu’une politique tout à fait similaire s’applique dans d’autres universités.
2) Pendant le cocktail qui suivit l’évènement, je constatai que plusieurs personnes du public partageaient mon avis. Certaines prononcèrent même le terme « neuneu » au sujet de la performance de la grande gagnante de la soirée.