dimanche 31 décembre 2017

De la musique, Egoïsme, narcissisme et névrose chez le musicien.

par Ambroise Sulies,
Institut d'aliénation narcissique de l'armée rouge
1er Maître de conférence

Je croisais récemment l'individu que j'avais pu interviewer dans le cadre d'une de mes études précédentes: le joueur de basson désabusé. Profitant de sa propension naturelle à parler de sa personne, je le persuadais aisément que son discours m'intéressait. Je le gardais sous la main un bon moment en lui offrant verre sur verre.

Il mena spontanément la conversation sur l'égo des musiciens. Car "n'en faut-il pas une bonne dose pour se dire qu'on va monter sur une scène pour jouer devant des gens, et penser qu'on va les intéresser", me dit-il. Il rajouta que plus on monte dans la hiérarchie des musiciens au sein de leur dictature méritocratique, plus les individus ont des égos sur-dimensionnés. Je souris en remarquant que des descriptions tout à fait similaires s'appliquaient aux membres de mon institut de recherche.

Mon ami m'affirma ensuite que les plus névrosés des musiciens se trouvaient aux postes les plus prestigieux. "Oh combien de premier violons, combien de chefs d'orchestre, qui se prétendaient joyeux dans leur solfège lointain"[1]. Le pompon se trouveraient chez les pianistes virtuoses. Il m'expliqua que pour être une de ces stars du clavier, il faut obtenir le premier prix de son conservatoire à dix ans, et donc avoir commencé à pratiquer l'instrument aux nombreuses touches dans sa petite enfance. Les pianistes solistes qu'on applaudit dans les salles de concert n'ont jamais choisi cette carrière. Ils y ont été poussé par des parents qui leur ont "donné" le "goût" de la musique, et ils se sont retrouvé pianistes révérés avant d'avoir eu l'occasion et la maturité d'y réfléchir. Ce sont donc tous de grands névrosés.

Après avoir descendu cul-sec une pinte de Picon, mon musicien amer me cita l'exemple de François-René Duchâble[2], illustrant parfaitement ces problèmes mentaux qui touchent les grands pianistes. Atteignant la cinquantaine, le musicien se rendit compte au milieu d'un concerto qu'il n'avait jamais choisi son métier, qu'il détestait son aspect formel et hiérarchique. Il interrompit immédiatement sa carrière, jetant un peu plus tard ses pianos dans des lacs et brûlant ses costume queue de pie. Cette réalisation tardive semble avoir été cathartique dans ce cas. Mais, peut-on y trouver une autre explications ?

Une angoisse récurrente de mon bassoniste était la peur de vieillir. Il essayait d'imaginer l'anxiété du premier violon qui ne trouve plus dans ses doigts la force de pincer les cordes et dans ses muscles celle de maintenir l'instrument. A son déclin, le premier violon peut-il mettre son égo de coté et redescendre dans la hiérarchie ? Le pianiste vieillissant aurait-il pu sentir son talent le fuir, et prétendre une épiphanie pour ne pas avoir à faire face à sa propre déchéance ? Lui-seul le sait, j'imagine.

Le joueur de basson effondré sur la table du bar ne m'en dit pas beaucoup plus ce soir là, mis à part dans un dernier souffle aviné "Heur'sement pour moi, chai jamais été un grand virtuose, moa!" avant de roter en "La".

Notes:
[1] Citation attribuée à Hugues Victer
[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7ois-Ren%C3%A9_Duch%C3%A2ble



D'autres articles dans cette série: http://sulies.blogspot.fr/2015/01/de-la-musique-pre-face-b.html

lundi 25 décembre 2017