jeudi 2 avril 2015
De la musique, Une note politique ?
par Ambroise Sulies,
du Laboratoire Musicologique de Science Popo
Pour les besoins de l'enquête que je menais concernant la musique, je me rendis dans une taverne traditionnellement fréquentée de musiciens du fait de sa proximité de l'opéra de la ville. J'en repérai un qui ne me semblait pas tout à fait dans sa peau et restait isolé du troupeau. Je prétextai le manque de place pour m'installer à sa table. Menant habilement la conversation (et lui offrant quelques cocktails), je l'amenai à m'expliquer la mécanique humaine d'un ensemble musical (parfois appelé orchestre). Alors que je pensais naïvement que chacun prenait sa place dans un tout harmonieux, il m'expliqua qu'il s'agissait en réalité d'un milieu impitoyable, plein de rancœurs, jalousies et médisances.
Ainsi, lorsque la dernière note d'un concert a retenti, le soliste vient serrer chaleureusement la main du chef d'orchestre. Ils se congratulent mutuellement et chacun demande à l'assistance d'applaudir l'autre. Ils se livrent en réalité à un cérémonial derrière lequel ils masquent mal la haine qu'ils se vouent l'un à l'autre, chacun s'imaginant la vedette de la soirée, estimant l'autre bien moins bon que lui-même, lui attribuant le moindre couac du concert. Même à l'intérieur du corps des joueurs d'un même instrument, se retrouve un schéma hiérarchique et haineux. Combien d'archers de second violons ont été plantés dans le dos de premiers violons dans l'espoir de rendre leur place vacante ?
Cette concertation avec ce concertiste, un second basson désabusé, m'ouvrit les yeux sur la dimension politique de la musique. L'écoute attentive de musique dite classique confirma cette intuition, et je ne l'expliciterai que par deux exemples :
a) Dans un opéra, les membres de l'orchestre sont nombreux, mais les applaudissements ponctuent la performance vocale d'un artiste. Cette approche est extrêmement individualiste. On se moque du labeur des masses (ici, l'ensemble de l'orchestre) alors que l'on admire une personne qui sort du lot. On est en pleine méritocratie élitiste. Le même effet peut être vu dans tout morceau mettant en valeur de manière exubérante un soliste par rapport à l'ensemble des musiciens qui l'accompagnent.
b) A l'opposé, une symphonie n'a de sens que dans la combinaison de nombreux instruments travaillant ensembles, s'unissant pour produire une œuvre grandiose, ne mettant pas une personne en avant, mais la communauté. C'est ce que j’appellerai « l'effet fanfare ». Dans une fanfare, aucun des instruments ou des musiciens ne sont particulièrement mis en avant, mais c'est l'ensemble qui fait sens. Et c'est cela qui nous enchante.
Certainement, la simple évocation de ces deux systèmes me fait préférer l'un à l'autre, bien indépendamment de l'effet que les notes elle-même exercent sur mon cerveau. Je choisis donc (b) par rapport à (a), pour des raisons politiques. Et par effet de conséquence, je me sens plus à l'aise en écoutant l'un que l'autre, et je finis par l'apprécier plus. Ainsi donc, mes goûts en matière de musique ont bien une dimension politique. Camarade musicien, mesure donc la portée de tes partitions qui se manifeste ainsi.
Les articles dans cette série:
- http://sulies.blogspot.fr/2015/01/de-la-musique-pre-face-b.html
- http://sulies.blogspot.fr/2015/02/les-musiciens-sont-snobs.html
- http://sulies.blogspot.fr/2015/03/de-la-musique-opera-ou-football-cest-la.html
- http://sulies.blogspot.fr/2015/04/de-la-musique-une-note-politique.html
- http://sulies.blogspot.fr/2015/05/de-la-musique-quand-les-musiciens.html
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